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CHIC, mon blog

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Textes et poèmes


L'enlèvement

Publié par Florence Marthe sur 12 Juillet 2019, 13:09pm

Catégories : #Textes

 

Entre une vie de souffrances et une mort hypothétiquement prometteuse de soulagement, tu choisis quoi toi ? C'est la question que je me pose tous les jours depuis de nombreuses années pour les humains. Et je ne sais toujours pas, après tant d'années à me la poser, quelle est la réponse correcte. Je vis toujours, ça oui. Je ne sais pas toujours pourquoi, tant d'efforts pour rien parfois. Parfois je sais, ou crois savoir, ça dépend des jours, des soirs... Et puis ça repart dans le néant.

 

Mais est-ce ça vivre ? Aller de jour en jour, buter sur les mêmes obstacles, encore et encore. Reprendre goût à la beauté et puis se faire avoir par le monde des humains : être fauché, chercher l'amour en vain, jouer à la Loterie Nationale, espérer, déprimer, prendre des cachets, baiser, dormir, dormir, dormir...

 

Pourtant toi ça va, non ? Un beau costard, des pompes à 400 balles, un appart avec terrasse et jardin en plein Paris. Putain, y a pas à dire, t'as réussi. Ça donne envie les mecs comme toi. Ah ça, en même temps, faut pas te plaindre que des salauds viennent chez toi te piquer ta sono et tes Rolex. Si t'avais rien, comme moi, ça t'arriverait pas. Je me demande quand même si le portail ouvert sur la Porsche et la Clio neuve, ce serait pas un peu comme une provocation, un genre de « Viens-y goûter si tu oses »... Sais pas. Moi j'y suis passé mille fois devant ce portail. Les fleurs, les plantes bien vertes, le jardinier, je trouvais ça plutôt sympa. Pas jaloux, quoi. Je me disais que même si t'étais pas allé à l'usine, t'avais quand même du faire des trucs utiles ou même des trucs bien pour avoir tout ça. Sinon y a quelqu'un qui te l'aurais déjà fauché. Bon ok, je me doutais bien que t'avais sauté par dessus quelques têtes, mais des comme toi, alors ça compte pas trop finalement. Pis ta femme, franchement, stylée. La classe. Toujours un petit mot gentil, toujours saluer tout le monde, pas pimbêche pour deux sous. Tout le monde l'aime bien à l'asso. Et puis, quand elle vient faire les rondes, elle s'habille comme tout le monde aussi. Pas avec des fringues de grandes marques. Des robes tout ce qu'y a de plus simples. Une fille chouette quoi.

 

Toi je t'ai vu qu'une fois au local. T'en avais pour tellement sur toi, qu'avec juste tes fringues et les accessoires, j'aurais pu passer l'année au chaud peinard. Sans blague, c'était impressionnant. Moi je m'y connais en frusques, c'était mon métier avant. Enfin, j'étais dans la communication pour des fringues de luxe, des créateurs hors de prix, les Dior et compagnie. C'était ma spécialité. Parfois des bagnoles aussi. Les Mazeratti n'ont pas de secret pour moi. Alors tu parles que quand je t'ai vu déboulé en Armani, chaussures Berlutti et tout le toutim, j'ai eu vite fait l'addition. Je me suis dit, ce mec s'est perdu, il est étranger, il voulait aller à la Concorde et son taxi l'a pris pour un baltringue et l'a emmené ici. Ça m'a fait marrer sur le moment mais j'ai vite compris que toi t'étais pas là pour rigoler. T'as foncé droit sur ta femme, comme un taureau sur la muleta du toréador. Furieux que t'avais l'air. Elle, elle était drôlement surprise, et un plus qu'un peu sur la défensive. En fait, elle avait pas l'air d'en mener large, même si elle était restée bien droite sur ses hauts talons bon marché. Puis le choc. Pour elle, pour toute l'équipe présente. Tu t'es mis à gueuler comme un putois. On a du t'entendre jusqu'au bout de la rue, et plus loin encore. Tu lui a exigé des explications, sur ce qu'elle faisait là, pourquoi elle était sapée comme ça, pourquoi elle se plaisait à le ridiculiser de cette façon, que c'est pas de son milieu, qu'elle veuille s'occuper, ok, mais choisir cette association de crevards c'était pas possible, qu'elle avait perdu toute dignité, etc., et j'en passe des salées... Odieux que t'as été mec. Pire, infect. À dégueuler. La pauvre, elle savait plus où se mettre. Nous non plus d'ailleurs. Ça a été si vite le flot d'injures après ton arrivée qu'on a pas eu le temps de réagir de suite. Tu l'as mise plus bas que terre. Elle qui se battait pour les plus démunis, sur le terrain, pour de vrai. Elle donnait des cours de français, faisait des maraudages toutes les semaines, distribuait les bonnes ondes et la joie comme d'autres distribuent des bonbons. Elle avait le cœur ouvert avec nous et elle faisait pas semblant. Elle riait avec tous, un petit mot gentil par là, un autre pour adoucir les peines par ici. Et son sourire mon gars ! Un vrai soleil. Comme je t'ai dit avant, tout le monde l'aimait.

 

Et puis après ton passage, elle est plus venue. On l'a plus vue. On a attendu un peu avant de l'appeler, on voulait pas brusquer les choses, on préférait la douceur. Et puis ça répondait pas. Au bout de deux semaines comme ça, à essayer d'appeler sans réponse, on nous a dit que son numéro n'existait plus. Alors on a envoyé une des jeunes femmes de l'asso voir si elle allait bien. Elle est arrivé devant le portail. La Porsche était là, mais y avait plus la Clio. Elle a cherché des yeux voir si y avait pas quelqu'un qui pourrait la renseigner. Elle trouva le jardinier. Elle lui explique qui elle cherche, et là le gars il se met à pleurer. Des vrais larmes dans les yeux qu'elle nous a raconté. Notre bel ange s'était suicidée la semaine d'avant. Médocs. Elle s'était pas ratée. Personne n'a su pourquoi dans l'immeuble. Sauf peut-être son mari mais il a rien dit. Salaud. Elle, la joie, la gentillesse, l'humilité, tu l'as tuée avec ton pognon, tes manières de connard et ton mépris. C'est toi qui l'a tuée mon vieux, même si c'est elle seule, bien seule..., qui a préparé et bu le cocktail mortel... C'est toi et tous tes pairs, ceux qui veulent plus. Plus de fric, plus de pouvoir, plus d'apparence, de privilèges... Plus de vide pour les autres. Je te plains, va. T'es qu'une coquille vide, un abîme de rien, une outre en or pleine de piquette. T'es qu'une merde. Et tu vas payer maintenant. Et pour une fois, tu vas payer pour faire quelque chose de bien. Une fois dans ta salope de vie, quelque chose de bien. Parce que j'ai compris maintenant qui tu es. T'as pas de cœur, pas de couilles et pas de tripes. Tu écrases que ceux qui sont déjà plus faibles que toi, que ce soit en affaire ou dans la vie. Tu vaux pas tripette. Zéro pointé. Tu me fais pitié. Ta femme, elle, c'était une reine. Sa beauté rayonnait dans tout le quartier et restait en suspens, dans l'air, bien après qu'elle soit partie. Il y a des êtres, comme ça, qui vous laisse des traces de bonheur dans la tête et dans le sang. À tout jamais. Et pis il y a les comme toi, qui s'escriment à les mettre en boîte pour pas qu'on sache que le bonheur existe, des qui les insultent, qui les frappent, qui les humilient, les attachent au ras du sol, leur coupent les ailes... Et qui les tuent. Vous êtres nombreux c'est vrai. On peut pas tous vous coincer. Mais toi t'es là et tu m'échapperas pas aujourd'hui.

 

Oh, tu peux pleurer. Je m'en fous de tes larmes, elles ne sont que pour toi. Ça lave rien des larmes comme ça. T'as la trouille hein ? Tant mieux, ça te fera les pieds. Peut-être même que ça te fera réfléchir. Qui sait ? Un miracle ! Il paraît que ça arrive encore de temps en temps, les miracles. Tu mourras moins con si tu comprends au moins que ta femme, c'était un ange. Pas une pute, comme tu lui as dit ce fameux jour, au local. Pas la honte de la famille. Non. Un Ange. Mais t'es tellement con et obtus que t'as rien vu. Tellement obnubilé par tes chiffres, tes actions en bourse, tes courses à l'échalotte, tes licenciements abusifs, tes avocats et toute ta merde que t'as rien vu. Que dalle. On se demande tous à l'asso pourquoi elle t'as épousé. J'ai ma petite idée. Mais même si elle était pauvre au départ, c'est bien que tu as vu une petite lumière, même toute petite, dans ses yeux. Et qu'elle t'a touché. Et pis t'as tout oublié, t'es retourné sous terre, dans les trente-sixième dessous de ta conscience. Dommage. Alors maintenant, vu qu'on va passer un bon moment ensemble (oui t'inquiète pas on va se relayer avec les potes le temps qu'il faut), tu vas arrêter de chialer parce que c'est énervant et puis tu vas commencer à écrire : « Je, soussigné H. P., déclare léguer avant ma mort tout ce que je possède (biens immobiliers et mobiliers, actions en bourse, véhicules, vêtements, assurance vie, etc.) à l'association crée par ma femme A.P., née M. « Le bonheur aux Étoiles ». Les détails seront réglés par Maître F., notaire à Paris. » Voilà, c'est bien, on continue. Tu vas tout laisser. TOUT. Tu vas te retrouver à poil. Pas une chemise il te restera quand j'en aurai fini avec toi. Et tout légal. C'est pas beau ça ? Quand tu seras au milieu de la toundra, à vivre dans une yourte, et devant supplier les autochtone de te céder une peau de yak pour pas crever de froid, tu te souviendras de ta femme et de ses œuvres de charité. Tu te souviendras de tous les gens que t'as fait virer pour « optimiser » les investissements et rentabiliser tes boîtes. Tu te souviendras peut-être (c'est pas sur mais on peut toujours y croire) que t'es un être humain, et que les êtres humains ils peuvent faire autre chose que de la merde. Tu te souviendras que faire le mal de manière objective et en croyant dur comme fer que c'est pour le bien de l'humanité ça n'a pas de sens, et que c'est ça qui t'a amené là où tu seras, par moins 30 degré dans une yourte sans majordome, sans cuisinier, sans secrétaire pour te réserver ton billet de train de retour, sans les autres patrons pour t'arranger le coup, sans rien d'autre que toi et ta peau. Oh, j'imagine bien que tu vas vouloir te venger et que tu vas utiliser toutes tes forces pour sortir de là-bas et revenir en guerrier en colère. Mais ce sera pas possible : tu auras perdu ton identité. Tu ne seras plus rien. Tu vas en chier pour revenir à la « civilisation », mais tu y reviendras, je te fais confiance pour ça (à moins du miracle dont je te parlais avant, mais bon, j'y crois si peu...). Et là tu auras disparu. Plus de H.P., le grand H.P., oublié des siens virtuels, absent sur les ordinateurs, plus de sécu, plus rien. Ouais, j'ai des potes hackers, ça va les faire rigoler de t'effacer de partout. Restera tes anciens partenaires de business. Bon courage avec eux : ils sont comme toi. Qu'est-ce qu'ils vont faire d'un mec qui existe plus ? D'un mec qui a pété un câble et qui a légué toute sa fortune, jusqu'au dernier centime, à une association pour les « sans dents ». Je me marre d'avance. Alors ça va prendre un petit peu de temps. Je vais être obligé, avec mes collègues, de te garder un peu ici, le temps de tout signer gentiment, et puis ensuite on t'envoie dans les steppes sibériennes. Ça tombe bien ce sera juste le début de l'hiver, ça te laissera le temps de t'organiser avant les grands froids. Les Mongols sont très hospitaliers tu verras. Tu auras le grand air, les grands espaces... rien de mieux pour se remettre les idées en place. Et puis après on avisera. Enfin je veux dire, on verra si on envoie toute la paperasserie pour rendre légal tout ça ou si on t'en rend un bout. Ou carrément tout. On n'a pas encore décidé. Ça dépendra de toi. Nous, on aimerai bien que tu décides quand même. On n'est pas des voleurs ni des kidnappeurs. De l'argent volé, même si c'est pas pour nous, on n'aime pas ça. T'es chrétien ? « Tu ne voleras point » dit la Bible. Ben nous aussi on vole pas. C'est pas la religion, non, c'est une question d'éthique personnelle. Nous ce serait plutôt « Ne pense pas à faire ce que tu n'aimerai pas qu'on te fasse ». Alors du coup on a beaucoup pensé à ton cas. Et puis on s'est dit que si on déconnait vraiment, on aimerai beaucoup que quelqu'un nous le fasse remarquer et qu'on essaie de nous faire comprendre ce qui cloche dans notre comportement. Alors on a finalement pensé à cette solution avec toi. Tu vas resté ici deux trois jours, avec la télé et les dvd en marche en permanence. Y aura quelqu'un avec toi pour être sur que tu regardes tout. Tu seras nourri aussi bien sur, avec les courses premiers prix du supermarché d'à côté, on n'a pas les moyens d'aller chez Dalloyau, sorry. Et pis ça te montrera ce que tu vends à ceux qui ont pas les moyens d'acheter tout bon et bio ou à La Maison du Caviar, ou même seulement de prendre les produits les moins pourris sur les rayons des supermarchés. Quand t'auras tout vu (tu vas voir on a fait une super sélection sur la destruction des forêts, la bouffe, les gens des quartiers les plus déshérités, les vrais pauvres, la "classe moyenne" comme ils disent, les ouvriers, vous les riches aussi, la nature, les animaux et ce qu'on leur fait subir... Enfin tout le monde d'aujourd'hui... Et puis des images que tu reconnaitras surement, vu que c'est toi qui les a filmé, ou ta femme, enfin tu verras... En tout c'est sûr que tu vas pas t'ennuyer ! ), je disais quoi ? Ah, oui, quand t'auras tout vu, on fera un premier point. Au bout du troisième point, on verra si on envoie tes papiers signés par la Poste et toi en Mongolie par avion privé très discret. On est rien dans la vie, mais il nous reste quelques relations...

 

Bon, c'est pas tout ça mais je vais aller prendre un bain, je me suis pas lavé depuis notre rencontre, ça me gratte. Toi ? Ah ben non, tu restes là, je t'ai dit. T'as un film qui commence. Oh pis arrête de chialer, ça va pas être chouette sur le reportage. Ah, t'avais pas vu ? T'es filmé depuis une demi heure au moins. C'est pas beau un homme qui geint, c'est toi qui l'a dit quand F.V a pleuré dans ton bureau quand tu l'as viré pour faire des économie sur les « Ressources Humaines ». Ton premier licenciement. Oui, j'étais là aussi. En fait ça fait longtemps que je te suis... J'ai eu des espoirs deux ou trois fois. J'ai cru que t'allais te rendre compte, changer de cap. J'ai mis de belles occasion sur ta route... Et puis rien. Alors là j'ai décidé d'employer les grands moyens. Je suis pas adeptes de la brutalité, sauf en cas de force majeur. C'est mon dernier essai, ma dernière tentative de te sauver... Si ça marche pas cette fois-ci, je te laisse seul, tout seul. Et tu mourras de toute façon dans la misère affective, malheureux, plein de regrets, plein de toi-même aussi, en pleine incompréhension du monde... parce que c'est ce qui t'attend, oui, et là je pourrai plus rien faire pour toi... On y va ? Allez, je mets en route le premier dvd. 1984 ça te va ? Tu l'as pas vu tant mieux, tu vas voir, c'est rigolo, ça devrait te parler... Après on change de genre, mais pour le premier j'ai trouvé que ça serait intéressant pour se mettre dans l'ambiance...

 

 

 

Florence Marthe - Vendredi 12 juillet 2019

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