Le dernier sommet

France se sentait vieillir. Inexorablement. Salement. Non pas que son corps la trahissait, comme l'on dit parfois. Non pas que sa vitalité baissait remarquablement, elle était même plutôt très en forme pour son âge. Son charme agissait toujours sur les hommes, elle n'avait vraiment pas à se plaindre de ce côté-là. Elle se sentait juste... vieillir. Toute son expérience (ou toutes ses expériences?) lui pesait comme un fardeau dont elle aurait voulu se débarrasser entièrement, et retrouver une certaine ignorance, mettre de côté sa conscience, sa connaissance... Renaitre toute neuve, et libérée de tous les carcans.

Tout ce à quoi elle aspirait aujourd'hui, au bout d'un long chemin d'erreurs, de choix bons ou mauvais, d'accomplissements aussi, lui paraissait de plus en plus insaisissable, toujours moins à portée de main. Elle avait tant lutté, qu'elle se demandait parfois si cela valait le coup de faire tant d'effort pour en arriver là. Mais où était-ce donc, là où elle était arrivé? À quoi correspondait donc ce moment dans sa vie, où tout était pourtant encore possible, mais où tout paraissait si difficile à la fois? Comment trouver ces signes qui vous guident dans l'obscurité, et vous font oublier d'avoir peur du noir? Même le bon vin ne lui procurait plus cette chaleur qu'il avait coutume de lui offrir, les soirs où le besoin de réconfort se faisait sentir. «Il ne manquait plus que cela» se disait-elle, «même plus pouvoir s'enivrer tranquillement... ça ne va pas du tout ça...Et merde!».

Il ne lui restait plus qu'à s'asseoir et attendre? Ça n'était guère envisageable, ça ne lui ressemblait vraiment pas. Sortir, voir des gens, s'étourdir de bruit, de conversations, de soirées à n'en plus finir, comme le faisait certains de ses amis proches? Non plus. Malgré la véritable amitié qu'elle leur portait, elle trouvait ce comportement un peu pathétique et creux, en tout cas ce n'était pas pour elle. Tomber amoureuse, une fois de plus? Elle serait capable de tomber sur un homme marié, ou pire! Et le ballet des frustrations, de appels non rendus, des rendez-vous secrets commencerait, sans compter la culpabilité, et les larmes qui en découleraient, ah non, surement pas.

Alors quoi? Tout le mystère était là. Elle se trouvait dans un creux, dans une cuvette, dans une vallée, parfois verdoyante certes, mais entourée de montagnes qui semblaient infranchissables, et qui lui bouchaient la vue. Oui, bien sur, escalader une des montagnes, et retrouver l'horizon. C'était cela l'idée, et elle le savait: quitter cette clairière confortable et commencer l'ascension, qui serait difficile, elle n'en doutait pas... Si seulement elle avait quelqu'un à ses côtés, quelqu'un qui puisse faire le chemin avec elle... Pas pour toute la vie, non (le Père Noël, le Prince charmant et tout ça, elle n'y croyait évidemment plus, vous pensez bien), mais quelqu'un qui puisse l'encourager, la guider, l'accompagner avec bienveillance. Et avec un peu d'amour en prime aussi. Ce serait bien. Un petit bout de chemin, jusqu'au sommet. Et là elle verrait plus clair, le ciel serait dégagé, l'horizon n'aurait plus de limite, et il serait alors le temps de planter sa tente. Au sommet, tout en haut, là où tout ne serait que luxe, calme et volupté. Oui, tout ça et probablement bien plus encore. Riche d'une liberté nouvelle, faite de la certitude qu'elle ne sera plus jamais enfermée en bas, tout en bas. Et surtout désirer aussi fort que possible de ne plus jamais redescendre. Jamais plus.

Elle n'avait donc plus qu'à préparer son sac, et à se mettre en route, en espérant que ce soit la dernière fois.

(À suivre, probablement...)

texte@florence marthe mercredi 9 janvier 2013  photo@inconnu